Démarche artistique

Mehdi Yarmohammadi

Je suis né et j’ai grandi dans un pays, l’Iran, où montrer la réalité physique du corps humain ne va pas de soi, et est un enjeu politique central ; où l’alternance de l’expression et du silence, en particulier pour les artistes, est dictée par les aléas d’un régime autoritaire. C’est en réponse directe à ces enjeux que la question de la présence et de l’absence de l’œuvre, exprimée par une tension sans cesse renouvelée entre le vide et le plein, le positif et le négatif, constitue le centre de gravité et le point focal de mon travail de sculpteur, peintre, et dessinateur.

Il s’agit pour moi d’aborder directement la question de la présence matérielle de la sculpture, de la masse qu’elle impose aux regards du spectateur, par le biais paradoxal du manque et de la disparition. Le vide central impose à l’œuvre sa cohérence et son unité formelle, lui donnant la compacité de ce qu’il est convenu d’appeler en astrophysique « l’horizon des événements », au bord ultime du trou noir. Dans le registre corporel, voire médical, ce manque et la force d’attraction qu’il génère peut évoquer également le tristement célèbre « membre fantôme » qui malgré son absence se rappelle au souvenir des mutilés et autres blessés de guerre, monnaie courante dans mon pays depuis le conflit Iran-Irak.

Mais la force attractive du vide n’est pas pour moi une pure négativité. Il s’agit au contraire, de retourner l’absence en présence afin d’ouvrir l’œuvre à son en-dehors : spectateurs, environnements naturels et artificiels. Éléments kinétiques, dimension participative, réflexion sur l’inclusion de la sculpture dans un paysage s’apparentant au land art constituent ainsi des éléments clés de mon travail. Créée à l’occasion du festival « Sculpture by the Sea », The Bird, sculpture monumentale en acier de quatre mètres de haut qui apparaît également sur le logo du Folkested Museum d’Aarhus (Danemark) où elle est toujours exposée, est emblématique de cet aspect de mon travail : elle est pensée dès son origine en fonction des caractéristiques formelles d’un paysage unique, la jetée sur laquelle est a été exposée, en contact direct avec les éléments naturels de la Mer du Nord. Composée de deux cercles concentriques brisés, interrompus, connectés et maintenus à distance par des rayons de métal, elles renvoient à l’idée d’une processus semi-chaotique, d’un cycle parfois interrompu mais toujours dynamique, en rotation autour d’un vide central.

je suis en désaccord total avec le gouvernement actuel de mon pays mais fier de ses traditions artistiques qui m’offrent une source d’inspiration sans cesse renouvelée. Mon travail est ainsi en dialogue constant avec la réalité matérielle de la culture iranienne : qu’il s’agisse de l’iconographie de Shahr-e Sokhteh, site iranien de l’âge du bronze, où reviennent de façon insistante orbes et cercles en rotation, motifs que j’ai inclus dans plusieurs de mes travaux, ou des avancées techniques liées à l’isolement de l’Iran à la suite de sanctions internationales, qui m’ont permis d’intégrer des revêtements issus des nanotechologies, aux teintes bleu et or, à certaines de mes sculptures, revisitant avec une certaine ironie, dans un contexte géopolitique très particulier, la céramique lustrée des grandes heures de l’artisanat perse médiéval.